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À qui appartiennent les données personnelles ?

PROPRIÉTÉ

Le fait de « posséder » des données personnelles est incompatible avec une approche fondée sur les droits de la protection des données personnelles.

La valeur commerciale des données personnelles a conduit à s’interroger sur la possibilité que des personnes puissent être autorisées à commercialiser leurs propres données1. Il est parfois proposé de conférer aux particuliers des droits de propriété sur leurs données personnelles afin de lutter contre les inégalités liées aux données et de déterminer comment ces données peuvent être utilisées et par qui2. Néanmoins, la « propriété » ne permet ni de lutter contre ces inégalités ni de conférer aux particuliers un contrôle sur l’utilisation de leurs données. La « propriété » des données personnelles n’a de sens que si ces données sont considérées comme un « actif » assorti de droits de propriété3. Si les données personnelles sont considérées comme un bien, elles peuvent être utilisées comme garantie et pour des échanges commerciaux, avec comme conséquence possible que des personnes puissent même vendre les données contenant leur identité numérique.

Certains chercheurs laissent entendre que les concepts de droits de propriété devraient s’appliquer aux données personnelles4. D’autres estiment que des solutions fondées sur le marché devraient être utilisées pour protéger les données5, dans le cadre de ce que l’on appelle l’« économie des données personnelles »6. Les publications économiques sont divisées quant à la possibilité que des droits de propriété sur les données puissent remédier aux défaillances du marché ou contribuer à de meilleurs résultats dans le domaine social7. D’aucuns font valoir que la répartition optimale des droits de propriété dépendrait de différents facteurs, dont les investissements requis pour générer les données8 et la capacité de monétiser ces dernières9. Un régime fondé sur les droits de propriété ferait probablement grimper les coûts de transaction liés au partage des données, en exigeant de négocier les modalités de vente et d’utilisation.

Soumettre les données personnelles à des droits de propriété soulève également des problèmes d’ordre juridique. Premièrement, on observe souvent un chevauchement des intérêts des différentes parties10. Ces intérêts ont trait à la collecte, à la création et à l’utilisation des données11. Si le droit de propriété était attribué à la « partie dont l’intérêt est le plus manifeste ou qui pourrait en tirer le plus de valeur »12, il serait concrètement difficile d’identifier la partie ou les parties qui correspondent à cette définition13. Reste à savoir également comment les tiers propriétaires pourraient être indemnisés dans le cas où leurs droits seraient violés dans le cadre d’utilisations de leurs données en aval14. La création d’un droit de propriété pour les données exigerait d’élaborer des droits pour les « utilisateurs nécessaires » et des règles pour tenir compte des utilisations nécessaires dans l’intérêt du public15, comme dans le contexte de la gestion de la pandémie de COVID-19.

Deuxièmement, le fait de « posséder » des données personnelles pourrait pousser des personnes pauvres et plus vulnérables à vendre leurs données, ce qui exacerberait les inégalités existantes. Dans le cadre d’une approche fondée sur les droits de la protection des données personnelles, les individus disposent de droits fondamentaux à l’égard de leurs données. Ironiquement peut-être, ces droits — davantage qu’un titre de « propriété » — leur confèrent un contrôle sur leurs données, en leur permettant de négocier leur utilisation16. Ces droits immuables — au même titre que les garanties d’une procédure régulière — ne peuvent pas être négociés comme des marchandises. L’application de droits de propriété aux données personnelles n’est même pas consacrée dans la jurisprudence.

Notes
  1. Des start-up proposant des services de gestion des données personnelles aux internautes ont vu le jour. Ces services vont de la rémunération des utilisateurs en échange d’informations personnelles à des systèmes payants qui permettent aux utilisateurs d’éviter que leurs informations personnelles ne soient utilisées (Elvy 2017).
  2. Le présent gros plan traite uniquement des enjeux liés à la « propriété ». D’autres théories portent sur le traitement des données personnelles comme du travail (voir Posner et Weyl 2018, qui plaident pour que le rôle de l’individu dans la création des données soit reconnu et rémunéré comme du travail) ou sur le partage de données personnelles dans le cadre de contrats de licence (voir Savona 2019, qui fait valoir que les données pourraient être considérées comme un actif soumis à une licence que posséderait la personne qui les génère) ; voir également Fisher et Streinz, 2021). L’élargissement des types de données à la disposition des créanciers et d’autres décideurs au-delà des données habituelles (notamment concernant le remboursement des emprunts) constitue un autre aspect lié à ce débat. Ces types inhabituels de données pourraient inclure le paiement des factures de services publics, les flux de trésorerie et des données tirées des réseaux sociaux. La fiabilité de telles données et la possibilité d’accéder aux informations et de les contester constituent des questions importantes. Les analyses effectuées à partir de ces données peuvent également tomber dans la catégorie des données non personnelles. La propriété des données non personnelles, en revanche, relève plus directement des droits de propriété intellectuelle, un point qui est abordé au chapitre 6.
  3. Castells (2010) ; Zuboff (2019).
  4. Laudon (1996) ; Samuelson (2000).
  5. Voir, par exemple, Carrascal et al. (2013) et Kerber (2016).
  6. Voir, par exemple, Haupt (2016).
  7. Duch-Brown, Martens et Mueller-Langer (2017).
  8. Tirole (2017) ; Zech (2016).
  9. Dosis et Sand-Zantman (2019).
  10. Scassa (2017).
  11. Scassa (2017).
  12. Wiebe (2016, 880).
  13. Voir, par exemple, Farkas (2017).
  14. Viljoen (2020).
  15. Scassa (2017).
  16. Scassa (2017).
References
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