Infinies possibilités
La réaffectation et l’intégration de données à vocation publique et privée peuvent aider à réaliser des analyses plus précises en temps réel, combler les lacunes dans les données et dépasser les limitations associées à chaque type de données. Bien que ces efforts soient considérés comme susceptibles d’améliorer les conditions de vie dans les pays à faible revenu, plusieurs obstacles doivent être aplanis – notamment du point de vue de la technologie et du capital humain, des risques liés à la confidentialité des données, des limites à la représentativité des couches défavorisées et les plus démunies de la population, et des lacunes dans les méthodes, outils et normes de recherche aux fins de la prise en compte des données à vocation publique et privée.
Surveillance spatiale de l’agriculture paysanne
L’agriculture fait partie intégrante des moyens de subsistance en Afrique subsaharienne, où elle fournit jusqu’à deux tiers du revenu des ménages en zones rurales. C’est ainsi que l’amélioration de la productivité des petits exploitants agricoles est depuis longtemps un objectif de nombreux pays africains qui cherchent à éradiquer la pauvreté et l’insécurité alimentaire.
Pour suivre les progrès vers la réalisation des objectifs de développement nationaux et internationaux concernant la productivité agricole, les pays ont besoin de mesures exactes et spécifiques à chaque culture en ce qui concerne les superficies cultivées, la production et les rendements – non seulement à l’échelle nationale, mais d’une manière suffisamment détaillée à l’intérieur des pays pour orienter le ciblage et l’évaluation des politiques et programmes de promotion du développement agricole et rural ainsi que de la résilience face aux catastrophes et aux phénomènes climatiques extrêmes.
Avec le lancement de la Mission Sentinelle-2 de l’Agence spatiale européenne en 2015 et l’augmentation subséquente du nombre d’images satellitaires à haute résolution accessibles au public, des chercheurs ont établi le potentiel de la surveillance par satellite de l’activité agricole dans des systèmes de petites exploitations que l’on ne pouvait étudier auparavant à partir de l’espace.
Les mesures par satellite des superficies cultivées et des rendements exigent des données pour la formation et la validation des modèles sous-jacents, pour lesquels on a de plus en plus recours à l’apprentissage automatique. Des travaux de recherche menés au Kenya, en Ouganda et au Mali ont démontré récemment le potentiel des données d’enquêtes géoréférencées pour la formation et la validation de modèles qui combinent des enquêtes auprès des ménages et l’imagerie satellitaire afin de générer des estimations à haute résolution des superficies cultivées et des rendements pour des cultures déterminées – avec un mélange de justesse, de précision et d’actualité qui n’est rendu possible que grâce à la réaffectation et l’intégration de sources de données à vocation publique.
S’inspirant de ces activités à l’échelle infranationale, une nouvelle enquête réalisée par la Banque mondiale dans le cadre de l’étude sur la mesure des niveaux de vie (LSMS) et par Atlas AI — au titre de l’initiative 50x2030 pour une agriculture fondée sur les données — s’emploie maintenant à identifier le volume de données requises et la méthode de collecte de données à employer pour répondre aux besoins de formation et de validation des modèles devant servir aux applications d’observation de la terre qui, ensuite, pourront être utilisés sur toute l’étendue de pays. Ces applications peuvent fournir des estimations fiables par satellite de l’activité agricole, en particulier dans des milieux où prévalent la petite agriculture et la pauvreté et qui auraient le plus à gagner de ces efforts.
À partir d’images satellitaires de Sentinelle-2 et de données d’enquêtes innovantes recueillies par le Bureau national des statistiques du Malawi et l’Agence centrale des statistiques d’Éthiopie, des chercheurs ont recensé les meilleures méthodes de collecte de données d’enquête géoréférencées qui permettraient de tirer le plus grand profit des enquêtes périodiques auprès des ménages pour réaliser des estimations par satellite de la productivité agricole — en mettant l’accent sur la cartographie des exploitations de maïs, une denrée essentielle à la subsistance et l’alimentation dans les deux pays. On constate à l’analyse qu’un simple cycle d’apprentissage automatique peut permettre de classer de petites exploitations de maïs avec jusqu’à 75 % de précision ; que la qualité de la classification est optimale avec un peu moins de 60 % de données de formation ; et que la petite baisse apparente de précision des prévisions avec des approches moins souhaitables de géoréférencement des sites des exploitations dans le cadre des enquêtes auprès des ménages peut, en fait, donner lieu à une surestimation importante, de l’ordre de 0,16 à 0,47 million d’hectares (8 à 24 %) de la superficie totale des exploitations de maïs.
Après avoir identifié le meilleur modèle disponible, les chercheurs l’utilisent pour produire une carte de la culture du maïs d’une résolution spatiale de 10 mètres sur toute l’étendue du Malawi et de l’Éthiopie — un exploit inimaginable avant 2015. On peut voir ci-dessous que la carte du Malawi distingue deux réalités pour la campagne agricole 2018/19. À gauche, nous avons des estimations de la zone plantée en maïs à l’échelon du district — le niveau le plus précis auquel l’enquête auprès des ménages peut fournir des statistiques fiables au Malawi. Et à droite, nous avons l’instantané d’une région donnée dans le centre du Malawi, que nous pouvons rapprocher pour observer des superficies pouvant descendre jusqu’à 100 mètres carrés – ce qui est rendu possible par la technique d’estimation par satellite fondée sur des données au sol de haute qualité tirées des enquêtes.
Cartographie des zones de culture du maïs au Malawi pour la campagne agricole 2018/19
Source: Azzari, G., Jain, S., Jeffries, G., Kilic, T.et Murray S. (2021). « Understanding the requirements for surveys to support satellite-based crop type mapping: evidence from Sub-Saharan Africa. » Document de recherche sur les politiques de la Banque mondiale No. 9609.
Les avancées en matière d’imagerie satellitaire à haute résolution, de recherche sur la télédétection et d’enquêtes géoréférencées sur les ménages ont le potentiel d’améliorer considérablement la surveillance et la compréhension de l’agriculture paysanne en Afrique.
Utilisation de données de téléphones mobiles pour lutter contre la COVID-19
Après le déclenchement de la COVID-19, les gouvernements ont commencé à appliquer des mesures destinées à réduire les contacts sociaux pour enrayer la propagation du virus. De nombreuses entreprises non essentielles ont été fermées, et il a été demandé ou ordonné aux citoyens de rester chez eux, dans le but de sauver des vies et des moyens de subsistance. Alors qu’on s’employait encore à mettre au point un vaccin, ces interventions non pharmaceutiques ont joué un rôle crucial dans la lutte contre le nouveau coronavirus. Cependant, les décideurs avaient de la peine à répondre à des questions fondamentales concernant leur efficacité. Par exemple, les effets sont-ils différents au fil du temps et d’un district à l’autre ? Et surtout, les groupes vulnérables sont-ils moins aptes que les autres à se conformer aux règles de distanciation sociale ?
Les données apportent quelques réponses à ces questions. Tout particulièrement, les données collectées à l’aide de téléphones mobiles, telles que des enregistrements de données d’appels et des données générées à partir du système mondial de localisation (GPS), sont extrêmement utiles pour quantifier l’évolution de la mobilité humaine, de la densité de la population, des schémas de déplacements et de la composition de la population en temps réel et à haute résolution, de sorte qu’il est possible de mieux cibler les interventions des pouvoirs publics et d’améliorer les modèles épidémiologiques. Peu après le déclenchement de la pandémie, plusieurs entreprises technologiques de grande envergure ont mis à disposition des données de localisation anonymisées pour soutenir la lutte contre la pandémie et les efforts de redressement. Les rapports de Google sur la circulation des personnes, l’indice de mobilité de Facebook, les rapports d’Apple sur l’évolution de la mobilité, ainsi que les pipelines de données mis à disposition par Veraset, Unacast et Cuebiq, ne sont que quelques exemples de ces efforts.
Pour avoir une meilleure idée de l’impact de la pandémie et de l’incidence des politiques de distanciation sociale sur la mobilité humaine, nous avons analysé des données de localisation par GPS recueillies par Veraset dans des pays en développement qui ne révélaient pas de renseignements personnels. À Jakarta (Indonésie) par exemple, nous avons constaté qu’après la proclamation de l’état d’urgence, les ménages vivant dans les 20 % des quartiers les plus riches (ce que nous appelons les « utilisateurs bien nantis ») ont passé environ 35 % de temps en plus à la maison que les ménages habitant les 40 % des quartiers les plus pauvres (que nous appellerons les « utilisateurs peu nantis »), par rapport à la période précédant la pandémie. De plus, la proportion d’utilisateurs bien nantis se rendant au travail a diminué d’environ 25 % de plus que celle des utilisateurs peu nantis.
Temps passé à la maison
Source: Veraset
Note: Variation du temps que les utilisateurs ont passé à la maison du 15 février au 1er novembre 2020, par rapport à la période de référence. Restrictions sociales à grande échelle (indonésien : Pembatasan Sosial Berskala Besar ou PSBB)
Après la proclamation de l’état d’urgence, les utilisateurs de smartphones bien nantis qui résidaient à Jakarta ont passé 35 % de temps en plus à la maison que les utilisateurs peu nantis.
Proportion de navetteurs
Source: Veraset
Note: Variation de la proportion d’utilisateurs vivant à Jakarta et se rendant au travail du 15 février au 14 novembre 2020, par rapport à la période de référence. Restrictions sociales à grande échelle (indonésien : Pembatasan Sosial Berskala Besar ou PSBB)
La proportion des utilisateurs de smartphones bien nantis se rendant au travail a davantage diminué de 25 % de plus que celle des utilisateurs peu nantis
Ces constatations ne sont pas spécifiques aux villes indonésiennes et soulignent un simple fait : les conséquences des politiques de confinement varient selon les citoyens. Les groupes vulnérables ont plus de mal à se conformer aux mesures de distanciation sociale pour une grande diversité de raisons, entre autres le faible niveau d’épargne des ménages, la faiblesse ou l’inexistence des filets de protection sociale, des revenus tributaires de contacts en face en face, le surpeuplement des logements et le faible accès aux services de base. Bon nombre des personnes les plus vulnérables sont confrontées à un choix difficile : rester à la maison et se priver d’un revenu ou aller au travail, mais en prenant un grand risque pour sa santé. Ces constatations démontrent aussi que des mesures fines et à haute fréquence de la mobilité tirées de données de téléphones mobiles fournissent aux responsables politiques un moyen pratique pour évaluer l’impact de la pandémie, particulièrement sur les plus vulnérables.
Au-delà de l’évaluation de l’évolution de la mobilité humaine, les téléphones mobiles constituent aussi un élément crucial des stratégies gouvernementales de recherche des contacts. Des entreprises privées et des acteurs publics ont mis au point des applications mobiles de recherche des contacts telles que Corona app 100 m en République de Corée, TraceTogether à Singapour ou COVIDSafe en Australie, dans le but d’alerter les individus susceptibles d’avoir été en contact avec une personne infectée par la COVID-19. Alors que la contribution du traçage numérique des contacts à la réduction de la propagation du virus fait toujours débat, cette mesure soulève des préoccupations importantes du point de vue de la protection des données, ce qui a poussé des chercheurs à travers le monde à mettre au point des technologies de traçage des contacts qui préservent la vie privée. On peut citer par exemple l’application Private Kit : Safe Paths mise au point par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) et le protocole Decentralized Privacy-Preserving Proximity Tracing (DP3T) conçu par un consortium d’institutions de recherche européennes.
Même si les données de téléphones mobiles jouent un rôle crucial dans la lutte contre la pandémie de COVID-19 en favorisant l’évaluation rapide de l’évolution de la mobilité humaine et en permettant la recherche des contacts, elles présentent d’importantes limitations pour ce qui a trait à la représentativité de la population. En effet, l’utilisation de téléphones intelligents reste limitée partout dans le monde, et particulièrement en zones rurales dans le monde en développement. Les données collectées à partir de téléphones mobiles devraient être considérées comme un complément plutôt qu’un substitut des enquêtes menées sur des problèmes de développement tels que la pandémie de COVID-19 et au-delà.
Utilisation de données de téléphones mobiles pour éclairer les mesures de santé publique face à la COVID-19 et leurs biais éventuels
Source: Adapté de Grantz et al. (2020) - Figure 1
Note: Utilisation de données de téléphones mobiles pour éclairer les mesures de santé publique face à la COVID-19 et leurs biais éventuels.
Les données de téléphones mobiles devraient être analysées en tenant compte des biais de propriété et d’utilisation qui peuvent empêcher qu’elles soient généralisables à l’ensemble de la population.
Les propriétaires de téléphones mobiles et les utilisateurs de ces appareils représentent seulement un sous-ensemble de la population et peuvent avoir des biais supplémentaires liés à l’âge, à la condition sociodémographique ou à la situation géographique.
Les applications de recherche des contacts qui nécessitent d’utiliser un smartphone...
… ou une application peuvent limiter davantage la généralisation de ces données puisqu’elles représentent de plus petits sous-ensembles de la population d’utilisateurs.
Perspectives d’avenir
La réaffectation et l’intégration de données à vocation publique et privée ont le potentiel d’améliorer les conditions de vie sur notre planète et le bien-être des hommes, femmes et enfants de toutes les nations. Pour ce faire, les pays doivent investir davantage dans la technologie et le capital humain nécessaires pour des applications de pointe sur l’intégration des données. Les partenariats pour les données doivent être encouragés entre producteurs et usagers de données à vocation publique et privée afin d’accroître l’accès aux données confidentielles sans compromettre le respect de la vie privée. Toutes ces mesures doivent être complétées par des investissements dans la recherche sur les méthodes, outils et normes d’utilisation intégrée des données à vocation publique et privée.